Balustrade en pierre décorée d’un oculus centrale ajouré de deux mouchettes de forme elliptique avec redents intérieurs, écoinçons dans la la partie inférieure. La mouchette est un élément de décor ajouré qui décorait le réseau des baies du gothique flamboyant mais envahissait aussi les gâbles, les galeries, les balustrades, fenêtres aveugles, stalles de cœurs ou tombeaux.
Ces nouveaux réseaux contournés dont les formes imitent tantôt les larmes, tantôt les pétales ou les flammes, contribuèrent à créer un style nouveau de remplage qui dura plus de deux siècles. Ces formes souples et ondulantes servirent aussi pour toute sortes de motif décoratifs que l’on retrouve tant à l’extérieur qu’à l’intérieur des edifices.
Les réseaux beaucoup plus souples des fenêtrages qui commencèrent à s’imposer au XIII siècle, à l’époque du gothique rayonnant, puis en Angleterre à la période du « decorated » de 1250 à 1350, se mutèrent sur le continent à partir de 1380 en des formes très précises que l’on se mit à qualifier de soufflets et de mouchettes ; ces nouveaux agencements fluides de courbes et de contre-courbes allaient bientôt se répandre partout en France et devenir une des marques notoires de l’art flamboyant. Les mouchettes font leur apparition dans l’architecture anglaise avec le style curvilineaire déjà annoncé dès la fin du XIII siècle par exemple dans la salle du chapitre de la cathédrale de York ou l’on aperçoit deux timides mouchettes.
Les analogies plus qu’évidentes qui existent entre les tracés sinueux du « decorated » ou « curvilinear » anglais (1250-1350) et ceux du gothique flamboyant français (1380-1550) sont à bien des points de vue fort intéressants et peuvent souvent laisser supposer que le deuxième style est originaire du premier. Dès le début du XIII siècle, les artistes français avaient eux aussi pris conscience de l’accolade et des formes ondulantes et dès le début du XIV siècle les premières mouchettes se manifestent discrètement pour devenir ensuite la marque de reconnaissance du gothique flamboyant. l’invention même, en 1830, du terme gothique flamboyant on le doit à la ressemblance de ces éléments d’architecture à des flammes.
Concurremment s’affirma un gout prononcé pour les formes douces et élégantes : la courbe et la contre-courbe s’imposèrent inconditionnellement dès les dernières décennies du XIV siècle et les motifs polygonaux à lignes droites ou faiblement incurvés furent moins favorisés.
L’apparition des remplages fut cruciale dans l’évolution des constructions religieuses, où les larges et fines fenêtres rayonnantes se substituèrent aux étroites et épaisses ouvertures en arc brisé de la première phase du gothique, apparues depuis le début du XIIIe siècle. La variation des formes, la profusion de motifs inventés et l’étonnante diversité des compositions rendent compte de l’importance que les maîtres d’œuvre leur accordèrent. Rapidement, des remplages furent aussi plaqués sur des surfaces aveugles, ou insérés dans des structures décoratives comme les gables ou les balustrades, ce qui témoigne de leur succès.
L’étude des remplages montre encore mieux le lien qui rattachent le flamboyant au style qui l’a précédé. C’est en observant les points de jonction des remplages rayonnants que l’on repère la présence de légères courbes. Ces sont en fait les liaisons entre les parties pleines qui très tôt orientèrent le gout des architectes français vers des remplages aux réseaux contournés.
Il est cependant un point majeur que Messieurs de Lasteyrie et Viollet-le-Duc ont souligné avec insistance au cours de leurs recherches. Ces sont « des nécessités d’ordre technique ont joué un rôle important dans la naissance des remplages flamboyants ».
Viollet le Duc dans son Dictionnaire (tome VI, P. 341) a montré comment les artistes français « ont été conduits aux ingénieuses combinaisons de contre-courbes par le souci de consolider les vastes remplages en renforçant leurs points faibles par des courbes qui tendent à rendre tous leurs membres solidaires ».
L’oculus qui se trouve au centre s’inspire de la composition primitive des premières fenêtres à réseau en délit élaborée dans le nord de la France au début du XIIIe siècle. Elle est le fruit de l’évolution de la fenêtre composée appareillée apparue à la fin du XIIe siècle, qui résulte de l’assemblage de deux lancettes en arc brisé séparées par un trumeau, sous un oculus.
Le cercle est la forme géométrique qui a depuis toujours captivé le plus l’esprit humain ; le halo et la sphère symbolisant simultanément les plus nobles aspirations de l’homme et la perfection divine. Il n’est donc pas étonnant que à l’intérieur même du cercle ont ait inséré d’autres formes circulaires pour dynamiser et transcender davantage cette double fascination.
Le cercle dont la forme est très en faveur pour le raccord des remplages et dans les écoinçons, depuis le début de la période gothique, va s’imposer d’une façon tout à fait autonome à l’époque flamboyante.
Cet oculi est de diamètre restreint mais la transparence lui confère un charme indéfinissable et un aspect éphémère d’une rare qualité. La grande simplicité formelle qui dégage la composition de la balustrade montre des affinités avec l’oculi orné de mouchettes à redents qui décore la façade ouest de l’église de Frazé en Ile de France (fig.1).
Ce garde-corps montre une grande sobriété au plan des détails des sections internes qui suggère une provenance du Nord de la France, entre l’Ile de France, la Bretagne et la Normandie. L’architecture Normande était audacieuse mais conservatrice et les motifs très épurés étaient favorisés. Dans des nombreux édifices flamboyant du nord de la France on retrouve des espaces bien définis, des sections tranchées et des oculis bien encadrés, caractéristique qu’on peut observer dans nos deux éléments d’architecture.
Cette balustrade peut être datée de la première période flamboyante qui se situe entre la fin du XIV siècle jusqu’à 1435. Nous retrouvons de nombreux éléments rayonnants comme les cercles porteurs de mouchettes aux formes arrondies qui est un des indices le plus vérifiables de cette premiere façon de faire à la période flamboyante. Cette première phase ne manque pas d’originalité et d’audace mais elle conserve aussi beaucoup de traits la reliant aux périodes gothiques antérieures. Le dessin des motifs décoratifs s’impose au premier regard et on peut en suivre très précisément les contours car leur réseau primaire n’a pas de développement secondaire. Les lignes simples laissent des petits écoinçons vides. Pourtant des assouplissement apparaissent dans la présence des mouchettes. C’est avant tout cette souplesse nouvelle qui nous fait reconnaitre la marque flamboyante dans nos deux garde-corps.
Bibliographie:
- Gabriel Byng, Church Building and Society in the Later Middle Ages, Cambridge/New York, Cambridge University Press, 2017, 324 p.33
- Camille Enlart, « Origine anglaise du style flamboyant », Bulletin monumental, 1906, p. 62
- Paul Frankl et Paul Crossley, Gothic Architecture, vol. 58, Yale University Press, 2000, 408, P.217
- Mireille Girard, les roses flamboyantes en france, faculté des études supérieures Université laval, 1994
- Lasteyrie, L’architecture religieuse en France à l’ époque gothique », auguste picard éditeur, 1927
- Anne Prache, « Jean Bony, The English Decorated Style, Gothic Architecture transformed 1250-1350, compte rendu d’article », Bulletin monumental, sur Persée, 1981
- Julie Vidal, Les remplages rayonnants des édifices religieux du diocèse de Carcassonne (fin du XIIIe siècle – première moitié du XIVe siècle); Journal open editions, https://doi.org/10.4000/pds.728
- Eugene Viollet-le-duc, Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XI au XVI siècle, 1854-1868, tome VI, P. 341