Au centre du groupe, le Christ se tient debout, adossé à la colonne, les poignets liés dans le dos, la jambe gauche légèrement fléchie; belle tête allongée encadrée par une longue chevelure. Belle qualité de facture autant dans le traitement des corps, des visages expressifs et des costumes à la mode. Les masses sont bien équilibrés et tous les détails nettement formulés. La polychromie riche et raffinée qui allie les couleurs vives à l’éclat de l’or precise et achève le travail du sculpteur.
Le visage du Christ fait preuve d’une grande science dans son expression d’une évidente noblesse dans sa douleur contenue. Dépourvu de toute gestuelle dramatique, le Christ y apparaît singulièrement silencieux, presque serein. Son visage, profondément doux et triste, très légèrement penché à gauche, rend sensible l’intensité de l’émotion sans jouer sur l’expressivité. Les yeux fixes, la bouche à peine entrouverte, il contribue à rendre ce Christ de pitié plus touchant que poignant, à la fois magnifié et profondément humain par un dosage parfaitement équilibré de détails véristes et d’éléments quasi abstraits. Il regarde avec bonté le spectateur, l’invitant ainsi à l’imitation et la prière . Les deux bourreaux qui l’encadrent adoptent des attitudes suggérant le mouvement et la force; leurs tenues extravagantes contrastent avec le corps semi-nu du Christ habillé seulement d’un perizonium à l’antica. Dans cette image de devotion, ou l’action est comme suspendue, l’artiste a mis en relief la delicate figure du Christ opposée à la méchanceté des ses tortionnaires. Ce contraste met en valeur la pureté du Supplice face à la bêtise cruelle de ses détracteurs.
Cette œuvre s’inscrit pleinement dans la production sculptée du Brabant. La renaissance Flamande est perceptible dans l’expressivité, l’attitude théâtrale des figures aux anatomies puissantes ainsi que dans la colonne surmonté d’un chapiteau corinthien inspiré de l’antiquité.
Le bourreau à la gauche du Christ porte une trousse courte découpée en bandes et une braguette volumineuse qui était en vogue jusqu’à 1580 et permet donc de dater l’oeuvre au milieu du XVI siècle.
Au Moyen Âge, le costume est loin d’être anodin. Il est un indicateur de rang social, de bon goût, d’éducation, ou bien de vulgarité, de pingrerie . Il est utilisé pour distinguer le bon chrétien des exclus.
L’utilisation de costumes anachroniques est une convention iconographique pour certains personnages sacrés, comme le Christ ou les apôtres, qui sont traditionnellement vêtus à l’antique et parés de tuniques, de périzonium ou de sandales, comme le Sauveur de cette sculpture. Ces éléments servent à renvoyer l’observateur au passé, à l’autorité, à la dignité. La quasi-nudité à l’antique du Christ contraste ici avec les tenues contemporaines de ses bourreaux habillés de chaussées moulantes et dorés, de courts pourpoints et de volumineuses braguettes à la mode.
Les détails concrets et les costumes pittoresques révèlent un goût typique des œuvres brabançonnes, mais aussi de l’art gothique tardif attaché aux valeurs expressives et narratives.
Ce groupe faisait partie d’un ensemble figurant la Passion du Christ et occupait probablement la partie à la droite de la Crucifixion. Cette représentation figure le Christ à un moment particulièrement émouvant, propice à la méditation. La popularité de la flagellation s’inscrit dans le contexte d’un développement sans précédent des cycles iconographiques inspirés par la Passion, de l’arrestation du Christ à sa résurrection. Il fait partie des sujets les plus souvent traités, au même titre que l’Ecce Homo, la Pietà et la Mise au tombeau. Mettant en scène la douleur psychique, la passion du Christ, invitent à leur tour le fidèle à méditer sur le sacrifice du Christ, sur ses souffrances et sur celles des hommes et constitue ainsi l’un des sujets les plus efficaces et les plus prisés de la spiritualité en vogue à la fin du Moyen Âge.
Sous la domination des ducs de Bourgogne et des Habsbourg, les anciens Pays-Bas connaissent au XVe et au XVIe siècle un essor économique exceptionnel, favorisant une activité artistique florissante au sein des grands centres de la région. C’est notamment le cas à Malines, Anvers et Bruxelles, qui se spécialisent dans la production de grands retables sculptés en bois, mettant en scène des épisodes de la vie du Christ et de la Vierge.
Malgré l’absence de marques au fer, l’oeuvre correspond à un certain apogée des ateliers brabançons, alliant qualité des matériaux, production intensive et maîtrise du style. Tous les indices, notamment les costumes des personnages, concordent pour dater la flagellation avant 1580. La composition, les costumes élaborés, finement sculptés, ainsi que la variété des physionomies et des attitudes des personnages, sont remarquables.
Le nombre croissant de retables à la fin du Moyen Âge et au XVIe siècle reflète l’évolution de la piété dans les anciens Pays-Bas, berceau de la devotio moderna qui cherche un lien direct avec le divin. Si le pouvoir narratif de la statuaire est plus restreint, sa capacité à incarner les personnages bibliques est en revanche singulièrement puissante, par son caractère tridimensionnel, son échelle et sa recherche de vérisme, souvent renforcée par la polychromie.
Bibliographie :
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- Huysmans ed., » La sculpture des Pays-bas méridionaux et de la Principauté de Liège XVe et XVIe siècles « , 1999.
- Madeleine Lazard, « Le corps vêtu : signification du costume à la Renaissance », in Le Corps à la Renaissance. Actes du XXXe colloque de Tours, 1987, é, Paris, Amateurs de Livres, 1990, p. 77-94
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